Les fines particules de pluie tombaient à flot sur mon pelage doré qui avait désormais une allure plus sombre. Comme le soleil, mon éclat s'était éteint et j'avais cesser de briller. Mes pas étaient alourdis par la pluie mais mes mouvements restaient gracieux. Ces vieux exercices d'apprentissage royal étaient restés encrés dans mes manières. Levant les yeux vers le ciel, je n'y vis qu'un enchaînement infini de nuage grisâtre d'où se découlaient ces flots ravageurs. La saison humide apportait avec elle son lot de problème. Doucement mais sûrement, les pions prenaient place sur l’échiquier. J'ignorais ce que l'avenir nous réservait mais tout cela ne présageait rien de bon.

Bien des tournants avaient changé ma route mais je redoutais que cette stabilité ne soit bientôt heurter car tout le monde le savait, rien ne restait bien rose trop longtemps et pour connaître la joie, il fallait passer par le malheur. N'était-ce pas là l'équation irréductible de la vie ? Pour qu'il y ait notion du bien, il fallait une notion du mal car sans mal, on se saurait ce qu'est le bien. Mais quelle était donc la définition du mal, quel individu pouvait être apostrophé comme étant mauvais tandis qu'un autre serait bon ? Ces notions m'échappaient et je me perdais dans leur complexité. Mon frère était-il foncièrement mauvais par son meurtre de l'être que j'aimais ? Sans doute Hasire n'était-il pas le meilleur exemple à prendre tant mes sentiments étaient confus à son égard. Tout comme je lui en voulais terriblement, je ne pouvais oublié notre lien du sang. Combien de fois avait-il été présent pour moi et m'avait protégé... Là était la raison pour laquelle je ne comprenais pas, aujourd'hui encore, son acte de folie. Pouvions-nous aimer un être tout en le détestant ? Cela semblait impossible et pourtant...

Un vent nouveau se mit à souffler, plus fort et oppressant qu'auparavant. La tempête ne semblait guère résigner à s’essouffler. Les gouttes d'eau ruisselaient de mon pelage et je me sentais étouffer dans cette nature déchaînée. Le climat humide n'arrangeait rien à la situation. Mes foulées se firent plus pressantes, à la recherche d'un abri où fuir cette tempête. Si la saison humide avait pour avantage de signaler le retour des troupeaux, elle était néanmoins fortement désagréable à supporter, spécialement pour ceux aux problèmes capillaires mécheux. Ce ne fut qu'après plusieurs minutes intensives que je repéra un abri creusé dans la roche où je me précipita. Par chance, cette grotte n'avait pas été atteinte par la pluie aussi l'atmosphère y était-elle plus clémente. Quand bien même mon pelage était-il encore trempée, je m'y sentais au sec. Légèrement tremblotante par le froid, je partis me nicher à l'extrémité la plus totale de la petite grotte où je m'allongea, dans l'attente de voir ce déluge prendre fin.

Recroquevillé sur moi-même au fin fond de cette grotte, je peinais à réchauffer mon corps engourdi par l'eau glacée ruisselante de mon pelage. Le museau enfoui entre mes pattes, j'expirai un souffle chaud réconfortant. Le vacarme de cette pluie plus qu'agitée sonnait bientôt comme une symphonie rythmée et infernale et malgré son allure endiablée, mes paupières se fermaient peu à peu. La fatigue engendré par ces multiples voyage avait raison de moi. Mais alors que le sommeil me gagnait peu à peu une odeur presque rendu inodorante par la pluie réveilla mes sens. Cette tempête me jouait-elle des tours ou bien un lion rôdait-il dans les environs ? Soucieuse, je fis abstraction de ma fatigue et tins mes sens en alerte et très vite, je fus heureuse de ne pas avoir sombré dans les bras de morphée. Des bruits de pas se faisaient entendre, affirmant alors mes soupçons. Il y avait bel et bien quelqu'un à l'extérieur de cette grotte.

Alertée par cette agitation soudaine, je me redressa en position assise, le regard rivé vers l'entrée de l'abri. Très vite, des crocs luisants firent leur apparition. Un lion venait d'entrer à son tour et sa carrure n'avait rien de bien rassurant. Mes sourcils abaissés aggravaient mon regard et rapidement, je fis un bilan de la situation : pour une raison que j'ignorais, ce mâle semblait presque déçu et étrangement sur les nerfs mais le plus important était qu'il me bloquait ma porte de sortie par sa masse de muscle imposante. La situation semblait délicate. D'un ton majestueux quoi-qu’agressif, il m'interrogeait sur la raison de ma présence. Cet air qu'il se donnait ainsi que son comportement me laissait supposer qu'il était un habitué des lieux. L'odeur des Freelanders étaient facilement détectable mais dans mes souvenirs, ce clan n'était pas aussi hostile avec les étrangers. Mon rang d'exilée était peut-être responsable de cette agressivité soudaine...

« Je me tiens à l'écart de cette pluie torrentielle. N'est-ce pas votre cas ? »

Bien qu'un tel comportement injustifié ne me plaisait guère, il était préférable de rester calme et de jouer la carte pacifiste. Me montrer aussi hautaine que lui n'arrangerait sûrement rien. Afin de lui cacher mes inquiétudes quant à son arrivée imprévue, je gardais ma position assise désinvolte bien que mes griffes étaient prêtes à se détractées en cas de besoin. Ne sait-on jamais...

Les mots du lion eurent le mérite d'être clairs et ne me laissèrent pas de glace. Quel arrogant ! Qui était-il pour se permettre un tel jugement sur une inconnue... Il lui manquait bien des manières et ce genre de personne avait un don particulier pour agiter mes nerfs. Piquée au vif, je me redressa sur mes quatre pattes, tenant tête à ce lion fort désagréable. Malgré une réserve ô combien grande de vacherie à lui jeter au visage, je m'abstenais -bien que l'envie était fort présente- ne pouvant qualifier de simple détail sa carrure imposante et ses muscles généreux. Avec un pareil caractère de cochon, il était fort à parier que ce lion ne se gênerait pas pour s'en prendre à une femelle aussi bridais-je mon propre tempérament. Bien que nous venions à peine de nous rencontrer, il était évident que nos deux caractères ne donneraient pas un mélange délicat mais plutôt explosif.

Sous ses airs de grands seigneur, le mâle se présenta comme étant le roi Sharkan ou plutôt aurait-il du dire usurpateur et tyran... Quoiqu'il en soit, je ne me montra guère impressionnée par cette révélation. Des rois j'en connaissais un bon nombre alors un de plus ou du moins ne changerait pas la donne. Mes sourcils se froncèrent à nouveau à l'entente du mot « intrus ». S'abriter aux frontières du royaume était-il un crime ? Il était gonflé ! S'adoucissant comme par magie, il me demanda d'un ton plus rassurant d'où je venais. Sérieusement ? Ce serpent m'avait auparavant montré son vrai visage aussi n'y avait-il aucune chance que je tombe dans son piège comme une lionne naïve le ferait.

« De nulle part. Ou du moins n'ai-je pas de maison fixe. » répondis-je de façon évasive mais distinctement, lui annonçant de manière aussi directe que la sienne que je ne le craignais pas.

Nul doute que ce genre d'individu n'appréciais guère le fait de ne pas obtenir les réponses qu'il souhaitait aussi était-ce une satisfaction personnelle. S'il s'attendait à me voir trembler ou tomber dans son piège, il se mettait la griffe dans l’œil.

Humant l'air comme s'il cherchait à en respirer la moindre parcelle, le mâle était clairement préoccupé par quelque chose et pour tous ceux connaissant l'histoire de la montée sur le trône de l'usurpateur Sharkan, il était plutôt évident de deviner l'objet de ses pensées. Quoi de plus normal que de rechercher les deux seuls êtres capables de le faire tomber...

« Vous cherchez quelque chose ? » ou quelqu'un pensais-je.

Malgré mes paroles vicieuses lourdes de sous-entendus, je gardais un air impassible et dis ces mots d'un ton très calme. Quand bien même une tempête pouvait se déclencher dans mon profond intérieur, la règle d'or était de ne jamais rien laisser paraître. Un visage impartial sans émotion dont je savais user lorsque la situation le réclamait.

L'animosité grondait entre nos deux personnes et la tension était palpable. Un voile de haine recouvrit le regard du lion tandis qu'il m'interpellait tout en me qualifiant de petite sotte. Aussitôt, mes crocs se dévoilèrent et je me mis à gronder. Comment osait-il ?! Un royaume acquis par la force et la terreur qui plus est même pas foutu de le faire seul et il se prenait pour un intouchable ? Mauvaise pioche, je n'étais pas du genre à me laisser intimider.

Mais avant même que je n'esquisses le moindre mouvement, je vis une ombre éclairée par des crocs luisants se dresser face à moi puis ce fut le noir total.

Un saisissant mal de crâne me foudroya tandis que je reprenais peu à peu conscience. Légèrement sonnée, mes oreilles bourdonnaient et ma vue était trouble. La colère gagnait peu à peu mon être au fur et à mesure que les souvenirs revenaient. Une haleine chaude et infecte me réveilla finalement de ma semi-conscience. Sharkan. Le regard mauvais et brûlant de colère, je dévisageais celui qui avait oser s'en prendre à moi. Si j'avais su rester calme jusqu'ici, il était désormais hors de question de retenir ces émotions qui bouillonnaient en moi.

« Alors voilà à quoi ressemble le véritable Sharkan... un pauvre lâche qui n'a aucun scrupule à s'en prendre à des femelles. » lui crachais-je au visage tandis que la colère s'emparait de moi.

Repoussant le grand mâle de mes pattes arrières toutes griffes sorties, je me dégagea rapidement de son étreinte malsaine. J'avais du me cogner la tête après le coup du mâle puisque mes sens étaient encore brouillés et mes pas peu sûrs d'eux. Portant ma patte à ma tempe, je découvris non sans surprise mon pelage tâché de sang. J'avais appris à me montrer diplomatique même en circonstance extrême mais là, c'en était trop. Sur mes terres natales, lever la patte sur un descendant du Soleil était un crime sévèrement puni, la preuve en était mon exil et Sharkan n'allait pas échapper à la règle. Les membres légèrement pliés et prêts à bondir, je rôdais autours du mâle les crocs sortis.

« Vous êtes méprisable. » feulais-je hors de moi. « Vous cherchez désespérément les héritiers légitimes de ces terres car vous savez tout comme moi qu'ils causeront votre perte. Mais soyez réaliste Sharkan, vous êtes un tyran mal aimé et votre soi disant peuple vous hait. Le jour où Dejem et Haki reviendront, ce ne sera pas seuls. Une armée se dressera contre vous et cette armée, elle sera constituée de votre propre peuple ! »

Tout lion sain d'esprit aurait fui cet endroit au plus vite sans même jeté un regard derrière lui mais pas moi. Je m'étais endurcie et quand bien même ce combat semblait perdu d'avance, je ne lâcherai rien. Il voulait montrer qui était le plus fort et m'effrayer ? Dommage pour lui mais j'avais connu un tyran qui le surpasser dans tous les domaines : mon père.

HORS RPG:

Ce tyran s'avérait aussi farouche que mon père et cela éveillait en moi de vieux souvenirs. Je n'avais jamais été assez bien pour lui, quand bien même je j'avais pu m'entraîner avec hargne, répéter mes leçons avec ma mère jusqu'au petit matin et tout faire pour lui paraître comme la princesse parfaite, tout cela ne lui avait jamais suffit. Si j'étais née mâle, tout aurait été différent mais ma crinière ne se résumant qu'à cette simple mèche sur le haut de mon crâne, cela n'était pas assez. Il n'avait toujours eu d'yeux que pour Hasire, les femelles ne se résumant qu'à enfanter et quand bien même son sang coulait dans mes veines, il n'avait jamais vu plus en moi. Je ne voyais en Sharkan qu'une pâle copie de mon père : la même haine, les mêmes idéaux et cette même stupidité que je détestais tant.

Du haut de son règne artificiel, ce lion pensait avoir tout gagné, aussi bien le pouvoir que la sagesse et se permettait une infériorité sans limite face aux autres. C'était pathétique. Ces paroles m'arrachèrent un rire sinistre qui résonna dans la brume. Freeland n'était plus qu'une terre de poussière où Sharkan exerçait avec hargne un pouvoir qu'il avait volé. Son règne était craint plutôt que respecté et sans doute n'avait-il pas idée des divergences que cela entraînait. Au risque de le décevoir, je ne connaissais ni Haki ni même son père mais si une telle idée le mettait dans cet état, je le laisserai avec plaisir croire en ce mensonge. Quand bien même ma position quant à cette affaire avait autrefois été neutre, elle était aujourd'hui bien encrée. Je me languissais du jour où Haki reviendrait prendre ce qui lui revenait de droit et entraînerait ainsi la chute de l'usurpateur.

Comme si une bombe avait soudainement éclatée à ses mots, le mâle bondit sur ma personne toutes griffes sorties et crocs dégagés. Malgré ma tentative pour éviter cette masse de muscle, je ne fus pas assez rapide et le lion me percuta de plein fouet avant de me mordre férocement l'épaule tandis que ses griffes me lacéraient le poitrail. Dans un râle de douleur, je me dégagea férocement de son emprise tout en tentant de lui porter atteinte au visage. Mon corps se souvenait encore des cornes du buffle qui m'avait attaqué dans la savane et cette palette de chair en était fragilisée. Mais bien que ce jour-là Samekh était venu à mon secours, je ne pouvais que compter sur moi-même dans ce duel.

Il persistait une nuance plus qu'essentielle entre ce Sharkan et mon paternel : si l'un était détesté et redouté de tous, mon père lui n'avait jamais eu à user de sombres lignes pour accéder au pouvoir, il en avait hérité et c'est par cet héritage qu'il avait apprit que le respect de son peuple était primordial. Certes il était dur et son jugement était craint par certain mais jamais il n'avait été un tyran mal aimé. Car malgré son mauvais caractère et son caractère de feu, il n'avait toujours œuvré que pour le bien des siens et c'était ce qui différenciait tant mon père de cet usurpateur.

« Un roi est digne tandis qu'un chien vole pour survivre et je n'ai aucun doute sur l'identité de chacun. » répondis-je d'un ton méprisant tandis qu'un rictus se dessinait sur mes babines. « Certains règnes marquent les esprits et les générations à venir mais le vôtre sombrera vite dans le néant lorsqu'Haki sera de retour. Ce dont les lions se souviendront sera le retour conquérant du prince légitime de ces terres et non ce tyran qui lui avait volé son héritage. Personne ne se souviendra de votre règne de pacotille. »

Le dos courbé et les crocs dégagés, je fixais mon adversaire d'un regard ardent. Si son atout était la force écrasante de ses muscles, le mien était mon agilité et ma rapidité. Voulant surprendre le mâle, je m'approcha soudainement d'un pas rapide pour tenter de l'atteindre d'un coup de croc à l'épaule avant de me dégager aussi vite que j'étais venu. Mon éducation princière avait davantage misé sur l'art de l'éloquence et les bonnes manières mais heureusement pour moi, Sheru n'avait pas omis de m'inculper quelques techniques de combat à ma demande. Si tout ceci n'avait été qu'à but préventif, cela semblait aujourd'hui de grandes nécessité.

« Vous voulez user de vos crocs et griffes sur moi comme vous le faites sur les Freelanders ? Alors venez, je n'ai pas peur de vous Sharkan. »

Peut-être étais-je folle insconsciente mais il était hors de question que je laisse malmener par un tel individu. Quand bien même mes chances semblaient faibles, je me battrai.

Le sang avait coulé des deux côtés bien que j'étais la plus sérieusement touchée. Néanmoins, voir l’œil fébrile du lion et le mince filet de sang qui s'en dégageait faisait naître en moi un sentiment de fierté mais mieux valait-il ne pas se réjouir trop vite, ce coup avait porté ses fruits grâce à la chance et j'avais conscience qu'il ne serait guère aisé de recommencer. La pluie tombait en masse contre mon pelage où se mêlaient eau et sang et un filet rosée s'écoulait de mon poitrail avant de finir se dissoudre dans la terre boueuse. Tandis que la tempête faisait rage, les mots du tyran claquaient comme un coup de tonnerre. Il était énervé -à juste titre- et me le faisait bien savoir. Basse-cour disait-il... oh mais j'en savais bien plus sur la tyrannie qu'il ne pouvait le penser. Sa vague de haine déferlant à mon visage, je continuais de lui tenir tête bien que mes membres me priaient de fuir au plus vite. Une autre particularité des Lions du Soleil et sûrement l'un de nos plus grand défaut : nous étions des lions fiers, trop fiers même et quand bien même le danger était imminent, je ne pouvais me résoudre à fuir. Ma tentative d'attaque fut un nouvel échec et je me sentais peu à peu impuissante face à cet amas de muscle mais soudainement, le combat prit fin. Oui, il prit fin sur une promesse de mort.

Me tenant droite et fière, je dressais mon regard contre celui du tyrannique Sharkan, ses mots marquant profondément mon esprit. Pourquoi ne pas me tuer maintenant ? Ce genre de personne était des plus complexe et il était difficile de cerner leurs esprits. Je pestais silencieusement ; pour quelqu'un qui me reprochait de trop ouvrir mes crocs, il n'était pas mal dans le genre. Cette promesse de mort était effrayante mais je ne perdais pas pour autant mon cran. J'étais la cause de toute ceci et en assumerait les conséquences bien qu'évidemment, Sharkan était tout autant responsable que moi. Lui l'ordre et moi la rébellion, nous ne pouvions définitivement pas nous entendre. Bien que cela n'était en rien une priorité, je me disais qu'il serait intéressant de rencontrer Haki. Nous avions désormais un adversaire commun... Par mon insolence et ma prétention, je venais de me faire un ennemi qui n'était pas des moindres ; Sharkan, le tyran de Freeland.

Bien que ma vie ait été épargnée, je m'étais sentie humiliée. Si faible et impuissante... Les crocs serrés, je pestais contre cet être qui m'avait mis hors de moi. Ce combat qui avait eu lieu n'avait pas été abandonné mais repoussé et nul doute que je serais prête pour la remise de la partie. Ma chair était encore à vif des blessures infligées par le puissant mâle et mes muscles me tiraillaient douloureusement. Il allait maintenant falloir expliquer à Samekh d'où me venaient ces blessures... Cela risquait de ne pas être très amusant.