« Noir... Noir absolu, sans une once de lumière. Je me réveille, je me lève, sonné. Que s'est-il passé ? Je ne sais pas, je ne veux pas savoir... Je m'étire péniblement, et cherche du regard un peu d'aide, une oreille, un bout de queue, quelqu'un... Quelqu'un pour me dire ce que je fais ici, dans cet endroit austère que je ne connais pas, et que je n'ai jamais vu avant. Je rassemble les souvenirs qui me reviennent par bribes, en pagaille, mais je n'ai pas eu loisir d'entendre parler de cet inquiétant lieu auparavant. Je sens que mes coussinets me font mal, ils sont abîmés.

Je secoue ma lourde tête, et mes voies respiratoires forment des sortes de nuages de vapeur, mais je suis trop effaré pour en avoir conscience. J'ai froid ici je cherche, je cherche... Juste une longue plaine aride sans fin, sans verdure, de la roche glaciale... Un paysage plongé dans le brouillard le plus épais qu'il m'ait été donné de voir. Une brume qui me cache, m'encercle, se joue de moi, de ma présence entre ses ombres. Je décide de marcher, j'appelle... Aucune réponse. Puis soudain, une odeur me parvient. Je me sens paniqué, et je percute quelque chose de mou... La senteur qui flotte dans l'air me fait penser à la mort, et je découvre à mes pattes, un cadavre. Horrifié, il ne me faut que peu de temps pour restituer sa provenance : un membre de notre clan.

Je tourne les yeux des deux côtés, je suis encerclé de corps jonchant le sol, dans un bain de sang frais qui trace son chemin indélébile entre les rochers couleur terre de sienne. Puis c'est comme si tous les éléments du décors, avait disparus. Plus de brouillard, plus rien... Juste ces corps, et moi qui avance entre deux restes du clan... De ce qui était le clan... Lorsque je crois que j'ai traversé la route de victimes, j'aperçois une silhouette plus importante. Je sais. Je sais que c'est lui, mais je refuse d'y croire...


- Non...

Mais plus je m'approche, plus les couleurs m'apparaissent, sa morphologie, sa crinière, son odeur... Kumpa. Kumpa est là. Je pleure, je refuse d'y croire, je ne peux pas y croire ! Je me jette contre lui, me roule par terre en larmes, l'implore, le supplie de se réveiller... Mais rien n'y fait. Des images de notre enfance, de nos jeux, de nos cris et de nos larmes, de nos rires et de nos peines, me frappent, jaillissant comme un coup de poignard dans le dos, aussi lancinantes que je cru qu'elle me percutaient réellement. Puis, alors que nos voix s'estompaient dans un souffle de vent parvenu de nulle part, juste un cri.. Mon dernier cri... »


- NNNNOOOOOOONNNN !!!!!!

Alors que je reprenais mes esprits, me demandant si le cri que j'avais cru entendre ne venait pas de mon subconscient, je secouai une énième fois ma grosse tête pelucheuse puis m'étirai, lançant mes pattes avant loin devant moi pour détendre mes muscles engourdis de lion adulte, tout en baillant à m'en décocher la mâchoire.

Je lançai une œillade autour de moi, visiblement, il n'y avait touj... Attendez... Qu'est-ce que c'est que ce petit truc marron qui s'éloigne à reculons de moi, en me fixant de ses prunelles vertes étincelantes ? Un lionceau. Un lionceau que je ne connaissais pas de Prideland. Je le regardai un moment, me demandant s'il était vraiment en face de moi parce que je n'étais pas encore très réactif... Puis, il me vint à l'esprit que j'avais dû lui faire peur. Au vu de sa réaction, c'était d'ailleurs déjà le cas.

Je ne su pas ce qui me prit, mais c'était comme si ma timidité maladive avait disparue... À la place, je ressentais un profond sentiment de sérénité, d'apaisement... Comme un instinct paternel en quelque sorte. J'esquissai un sourire bienveillant en direction du jeune. Je savais qu'à son âge, quelques lionceaux se démarquaient de par leur caractère qui commençait à se forger. Certains malheureusement, ne suivaient pas vraiment ce qu'on aurait pu appeler le bon chemin, à l'instar d'autres. Puis il y avait les effacés, ceux qui ne voulaient pas qu'on les voit et se distinguaient de par leur comportement plutôt mystérieusement transparent, et très discret.


- Bonjour. Qu'est-ce qu'un jeune lionceau tout mignon comme toi peut bien faire tout seul ? Ta mère ne va-t-elle pas s’inquiéter ?

Je décidai de ne pas entreprendre de me lever, pour ne pas l'effrayer davantage. Il semblait déjà bien assez terrifié comme ça. Je le comprenais remarque... Ses parents avaient du lui enseigner de se méfier des fauves inconnus, et plus encore de ceux extérieurs à son clan... Il dégageait une odeur qui ne pouvait que m'être familière.


- Je suis Damu, prince de Prideland, frère du futur roi. Enchanté petit fripon.

J’ajoutai un clin d’œil complice à cette petite réplique. J'essayais d'être moins timide que d'ordinaire, et ce n'était pas bien compliqué face à un si petit interlocuteur. Déjà, me présenter pouvait peut-être le rassurer un peu. Il savait à qui il parlait... Et moi, en combattant mon petit côté renfermé, je pouvais m'ouvrir un peu et engager une éventuelle conversation ? Néanmoins, employer un langage qui n'était pas soutenu me fit un drôle d'effet. Après tout, je retombais un peu en enfance... Voilà qui me rappelait bien des souvenirs...


- Tu n'as rien à craindre. Mon clan et le tiens s'entendent plutôt bien tu sais ! Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, et je n'ai aucune raison d'en ressentir le besoin. Tu peux venir si tu veux, tu es chez toi autant que moi sur ces terres.

Relevant les yeux sur la petit être aux yeux verts étincelants qui se tenait non loin de moi, je remarquai qu'il s'était amassé sur lui-même, formant presque un petit tas à lui tout seul. Il semblait particulièrement peureux, voir même plus que trouillard. Ses yeux fermés, crispés par la terreur qu'il ressentait, me prouvaient bien qu'ils n'auraient pu se cacher davantage. Je vis même briller une petite larme, toute petite, qui scintillait sous les rayons de l'astre solaire.

Lorsque je lui demandai si sa mère n'allait pas éprouver un peu de soucis pour son petit, quelques brefs instants s'écoulèrent avant qu'il ne rejette ses paupières pour me fixer une fois de plus, tandis que l'un de ses deux sourcils se dressait subtilement en accent circonflexe au dessus de sa prunelle couleur émeraude. Mes oreilles se dressèrent à l'entente de son rire nerveux. J'étais attentif au moindre de ses mouvements, à l'écoute du moindre bruit qui émanait de lui. Il n'avait néanmoins toujours pas daigné se détendre, ne serait-ce qu'à peine, et j'eus presque l'idée qu'il soit resté coincé dans cette position.

Au moins me répondit-il silencieusement, en me mimant que non. Je commençais à me sentir plutôt embarrassé sous son regard si innocent, et pourtant si déstabilisant, qui refusait de me quitter l'ombre d'une seconde. Je notai toutefois qu'en comparaison à la tension qui le maîtrisait en me voyant, il paraissait un tout petit peu moins tendu. Heureusement, parce que ses muscles allaient finir par lui rappeler qu'il serait temps de bouger...

L'annonce de ma présentation eue pour effet de le surprendre. J'étais plutôt habitué à ce qu'on réagisse de la sorte en apprenant que j'étais le frère de Kumpa, donc un prince. C'était presque drôle de voir sa tête, complètement ahurie, et je ne pus retenir un sourire gêné.


- Est... Est-ce que ça va ?

Il était tellement pétrifié que je me demandais s'il n'allait pas tomber dans les pommes. Mais au moment où je crus le voir défaillir, ce qui me poussa à me lever en hâte, je compris qu'il tentait une révérence plutôt maladroite – normal pour un lion de son âge – et il resta ainsi de longues minutes. Moi j'étais à présent debout, et je le dévisageais, surpris. Je ne m'attendais pas à une telle réaction. Heureusement, il finit par se relever et je pus me recoucher comme si je n'avais jamais eu l'envie de quitter cette position.

Je repris un sourire détendu, et en le voyant faire un pas vers moi, je n'effectuai aucune mimique, ne fit aucun geste. Ce petit me fascinait... Il aurait suffit d'un mouvement brusque, ou d'un mot prononcé sur une voix trop haute pour le faire fuir. Il me faisait penser à un animal tout fragile, et c'en était attendrissant à un point qui me surprenait moi-même. Je me demandais si je n'étais tout simplement pas en train de me découvrir un instinct paternel jusqu'alors insoupçonné.

Il prit place assise et osa enfin me faire entendre, pour la deuxième fois depuis notre rencontre, mais la première sans hurler, le son de sa voix, me demandant si j'avais fait un mauvais rêve. Un couinement s'échappa de sa gorge, mais je fis celui qui n'avait rien entendu, ne relevant pas. Je me contentai d'accentuer un sourire sympathique et répondis en soupirant :


- Eh bien tu sais... Je fais souvent des cauchemars concentrés sur la mort de mon frère. Nous sommes très proches lui et moi et avec tout ce qu'il se passe en ce moment...