Dignement dressée sur ses pattes, Wissel fit face à ses terres, songeuse, les prunelles perdues dans la couche nuageuse formée par Dame Matinée et ses nombreuses filles, les brises matinales. La petite lionne se demandait intérieurement comme une telle chose pouvait être possible. Depuis les premières lueurs de l'aube, le paysage était brouillé par une brume épaisse et terriblement angoissante. Postée à l'entrée de la termitière, elle écoutait les nombreux grognements de ses aînés, en train de pester contre « le mauvais temps ». Sa mère, comme d'habitude, s'était absentée avec la majorité de sa portée. Peut-être pas pour les mêmes raisons, mais la demoiselle caramel savait sa famille occupée ; Ishana avec la guérison, Janan avec la solitude, Koda avec l'amitié, Kira avec l'aventure. Et elle ? Avec qui s'affairerait-elle aujourd'hui ? Tout en contemplant l'étendue des pouvoirs de la météo, la petite Outlander trouva, toutefois, de la beauté à ce que ses yeux voyaient. Un vrai paradis illusoire. Personne ne voyait rien. Tout n'était qu'imagination et mirages. Un endroit parfait, en autres, pour cultiver sa propre imagination et ses rêves ensorcelés. Retrouverait-elle son chemin, si elle s'égarait ? Ne se blesserait-elle pas en route ? Trouverait-elle un trésor malgré la vapeur glaciale ? Elle hésita quelques instants puis, jetant un petit regard discret à ses aînés grincheux, se rendit compte qu'elle préférait encore être perdue dans la brume plutôt que sous leurs yeux, sans protection aucune.

Discrètement, la petite femelle regarda tour à tour la termitière et la brume puis, d'un pas tranquille, s'enfonça dans celle-ci. Des frissons de plaisir parcoururent son échine de penseur : elle se croyait presque dans un rêve éveillé ! Ses pas la promenèrent çà et là, alors qu'elle tentait de reconnaître les objets, les coins, les lieux ; ainsi, elle se dirigeait tout en se fiant à son instinct. Elle sentait sa position se rapprocher de la frontière Pridelander et, pourtant, l'espace d'un instant, Wissel n'eut plus peur de rien. Il n'y avait personne. Du moins, le croyait-elle … ?

Un mouvement terriblement brusque la fit sursauter. Une masse dorée, sortit de nul part, retomba lourdement au sol, juste devant elle, attirant poussières et autres projectiles tout aussi désagréables les uns que les autres. La fille d'Ishana fit un bond en arrière, l'échine hérissée, les prunelles écarquillées. Son regard effrayé et méfiant se posa sur l'étrange chose venue s'incliner plutôt violemment à ses pattes ; avec surprise, elle reconnut le visage d'un lion. En fait, non : c'était un lion.

Il était adulte, son odeur trahissait son appartenance à l'Inconnu. Elle n'avait jamais senti son odeur, tout comme elle sut d'instinct qu'elle n'avait jamais vu ce visage quelque part. Sa crinière rouge taillait avec sa fourrure rousse et crème. Deux prunelles d'un rouge plutôt terne brillaient malgré la brume. La Outlander remarqua alors, en levant les yeux vers sa mèche de crinière, une sorte de … bosse. Ou quelque chose qui s'y rapprochait.

« Aie, aie, aie. » répéta le mâle inconnu en tâtant son crâne.

Le simple fait d'entendre sa voix ramena bien vite la petite lionne à la réalité. Elle se recula un peu plus, élargissant la distance entre elle et l'étranger. Il était vivant. Elle ne le connaissait pas. Il pouvait la tuer. Elle ne devait pas s'endormir devant sa façade toute mignonne et se concentrer sur le plus important : sa survie. Que faisait-il ici, d'ailleurs ? Et pourquoi s'était-il blessé à la frontière d'Outland ?

Peu après s'être reculée, le cœur battant, la brunette posa un œil peu rassuré à l'individu roux. Celui-ci se redressa, ne semblant pas la remarquer malgré l'évidence de la chose. Peut-être la chute lui avait-elle malencontreusement retourné l'esprit ? Il s'ébroua le pelage, avant de poser son œil rouge sur le corps de la petite. Wissel écarquilla les yeux. C'était horrible. Pourquoi ne s'était-elle pas enfuie quand il était encore temps ? Ses pattes ne répondirent plus à ses appels. Elle se retrouva figée sur place, à attendre sa mort. Ses prunelles semblables à deux billes vertes instables, regardèrent le gros matou se rendre compte de la situation et réagir en conséquence.
Comme saisi de curiosité, le mâle approcha sa tête de la sienne. Elle poussa un petit couinement apeuré, d'instinct, alors qu'il avançait une tête plus amicale, affable à son égard de lionceau. Elle n'avait pas envie qu'il la touche, elle voulait se cacher dans les pattes de Maman ou de quelqu'un d'autre qu'elle connaissait, comme toutes les fois où la situation lui échappait. Il lui adressa quelques mots qu'elle écouta néanmoins, consciente que paniquer ne l'aiderait pas à apaiser cette rencontre imprévue. Comment pourrait-elle gérer la situation et analyser le problème si sa peur lui donnait instantanément le désir irrésistible de s'enfuir ? La fille d'Ishana prit sur elle, régulant son rythme cardiaque.

« Euh … Bonjour toi ! Excuse-moi de mon entrée un peu huum … Bizarre ? Mais comment dire, je me suis un peu perdu, tu vois un peu la chose ? »

Sa manière de parler était bizarre. Wissel le trouvait bizarre. L'entrée n'était donc pas inconnue à ce lion étrange, dont elle ne savait pas grand-chose. Elle avait l'impression qu'il allait lui demander un service, un renseignement. La petite avait déjà noté cela de certains comportements Outlanders qu'elle avait étudiés dans la Termitière, quand un adulte un peu neuneu cherchait à abuser d'un enfant.
Néanmoins, il n'en était rien pour l'instant. Le rouquin lâcha un rire léger, comme aussi embarrassé qu'elle par la situation.

« Tu t'appelles comment ? Ah oui, j'oubliais, je suis Anoki, guerrier de Prideland. »

Anoki … de Prideland. Elle réfléchit soigneusement à ces nouvelles informations. Anoki. Que pouvait-elle donc en savoir ? Cela n'avait pas d'importance. Guerrier … Il avait l'âge et le gabarit pour, mais elle trouvait cela quand même un peu fâcheux qu'un guerrier se fasse avoir aussi bêtement par les frontières Pridelanders et Outlanders. Ne révisait-il pas ses leçons ? Il devait être sacrément maladroit ! L'excuse du brouillard ne changeait rien. Quant au fait qu'il appartienne à Prideland, il était bien parti ; Prideland était le principal voisin d'Outland et puis, la plupart des fauves là-bas avaient le pelage roux comme le sien. La petite Outlander leva le nez et huma timidement l'air, espérant détecter une odeur – voire celle d'Anoki, pile poil – qui lui permettrait de déterminer les origines du lion depuis sa position. Comme elle ne savait pas encore grand-chose de lui, et qu'il l'intimidait un peu, la femelle tenta un :

« Ma maman m'a dit de ne pas parler aux inconnus. Je ne vais pas te dire mon nom, du coup … désolée. »

Sa mère ne lui avait jamais dit ça – ou alors, peut-être bien que oui, mais Wissel n'y avait pas jugé d'importance – mais c'était bien évidemment fait exprès. Elle voulait savoir comme il réagirait devant la réticence du lionceau à parler, et ce qu'il ferait ensuite.