Pour la première fois depuis bien longtemps, une âme ouvrait les yeux sur le monde qui jadis était le sien. Il voyait et entendait, mais il savait dors et déjà que rien ne serait comme avant.

Hofu fit un pas, mais ses pattes ne frôlèrent le sol. L'herbe passait au travers de ses griffes comme si elles n'étaient qu'une illusion. Une légère brise soufflait sur le paysage, pourtant il ne la sentit guère. Les poussières emportées par le vent passaient au travers de son corps sans jamais le toucher.

Pourquoi était-il là? A vrai dire lui-même l'ignorait. Ses souvenirs étaient plus flous que jamais. D'où venait-il, il ne s'en souvenait pas. Qui était-il..? Il lui fallut quelques instants pour s'en rappeler. Pour se souvenir de tout, ou du moins tout ce qui était antérieur à ..

Je suis... Mort.

Cette pensée le frappa d'un coup, pourtant, elle ne vint guère troubler son esprit. Il se souvenait avoir accepté cette nouvelle réalité depuis bien longtemps. Au début, cela n'avait été simple.. Il ne voulait quitter son corps, car cela signifiait laisser derrière lui tout ce qu'il avait de plus cher.

Il se souvenait de ce combat contre Kutoa, pour protéger son filleul. Il se souvenait de l'avoir vu partir en courant vers Prideland. Il se remémorait chacun des coups donnés par le lion, et il se souvenait n'avoir quitté la vie qu'une fois certain que Sayidi était hors de portée de ce monstre.

Hofu se souvenait de ce long moment où, encore trop attaché au monde réel, il n'avait pu rejoindre ses ancêtres. Son esprit, comme aujourd'hui, avait erré plusieurs jours dans l'espoir vain de se réveiller. Et enfin, il se souvint avoir trouvé la paix.

Pourtant, en ce jour si particulier, son repos avait été troublé. Pour une raison qu'il ignorait, il s'était de nouveau retrouvé entre deux mondes.. Celui des morts, et celui des vivants.

Le lion sombre, ou plutôt son esprit, continuait d'avancer au milieu de la végétation. Cet endroit lui paraissait familier.. Des arbres, beaucoup d'arbres, une végétation plus dense que partout ailleurs.. La jungle. La jungle où les Mositus avaient trouvé asile, et où Sayidi et lui avaient été accepté l'espace de quelques semaines..

La jungle où il avait raccompagné Vukia. Vukia.. Hofu ressentit un pincement au coeur à la pensée de la lionne rouge - était-ce seulement possible, ou n'était-ce qu'une pale imitation de cette sensation commune aux vivants?.. L'un des plus grands regrets du mâle était de ne pas avoir pu lui dire adieu. La mort l'avait pris avant qu'il n'aie eu le temps de retourner la voir. Que devait-elle penser de lui, à présent? Se souvenait-elle seulement de ce qu'ils avaient partagé autrefois..

Une vague d'appréhension s'éprit de l'apparition tandis qu'il approchait de l'endroit où se regroupaient les Mositus la plupart du temps. Il ne faisait pas un bruit, continuant d'avancer dans la pénombre. Quelques Mositus éveillés ne semblèrent pas même le remarquer.. Non, bien sure que non. Pour tous les mortels qui ne se souvenaient pas de lui, il n'était rien d'autre qu'un courant d'air.. Mais peut-être cela valait-il mieux. Loin de lui l'idée d'effrayer tout un clan.

Loin de lui l'idée d'effrayer quiconque.

Lorsqu'il la vit, le lion s'immobilisa. La lionne rouge se trouvait là, à seulement quelques mètres de lui. Elle dormait, à l'écart du groupe. Elle était si belle.. Elle semblait si paisible. Il avança d'un pas, la détaillant du regard sans faire un seul bruit. Ressentirait-elle sa présence..? Non, comment cela aurait-il pu être possible? Il était mort, elle était en vie..

Soudain, une idée lui vint. Peut-être pourrait-il se faire entendre d'elle.. Il devait bien y avoir une solution. Et si..? Non, il n'oserait pas.. Pourtant il fallait qu'elle sache.. Il fallait qu'il lui dise.

Doucement, il s'approcha, jusqu'à effleurer sa conscience..

"Vukia.."

lui murmura-t-il dans un ultime espoir qu'elle l'entende..

Lorsqu'il la vit tressaillir et enfin ouvrir les yeux, l'espoir et la crainte l'envahirent tout entier. L'avait-elle entendu, ou n'était-ce là qu'une simple coïncidence? Il n'aurait su le dire. Comme un idiot, il restait planté là, à l'observer. Il y avait si longtemps qu'il ne l'avait vue.. Elle était encore plus belle que dans ses souvenirs. Et aussi forte.. A croire que le temps n'avait eu sur elle aucun effet.

Dans le regard de la féline sombre luisait une lueur d'incompréhension tandis qu'elle détaillait le paysage alentours. Peut-être n'était-ce rien.. Peut-être restait-il tout aussi invisible et muet aux yeux de la lionne qu'à ceux de n'importe quel mortel. Peut-être quelque chose d'autre avait-il attiré son attention.. Peut-être..

Soudain, ses jolis yeux émeraudes se posèrent sur lui. Elle le regardait, ou du moins regardait en sa direction.. Non. C'était bien lui qu'elle regardait. Il le voyait dans son regard. Il le voyait sur son visage. Elle avait l'air effrayée. Mais il ne voulait pas l'effrayer. Il ne voulait pas lui faire peur.

Puis, les oreilles de la lionne se redressèrent, doucement, tandis qu'une expression nouvelle s'afficha sur son visage. Qu'était-ce? Hofu n'aurait su le dire. Il restait tout simplement là, silencieux, à l'observer. Il ne savait pas comment réagir.. Ni quoi dire. Le lion avait songé de nombreuses fois à cet instant, ou du moins le pensait-il. Elle devait être bien plus troublée que lui, pourtant.. Il se sentait aussi perdu qu'un lionceau.

"Hofu...?"

Alors il su. Il su qu'elle l'avait reconnu. Qu'elle ne l'avait pas oublié. Qu'enfin, elle le voyait. Qu'il n'était pas venu ici en vain.

Il lui sourit bêtement. Bêtement, c'était sans doute le mot.. Cette situation n'avait rien de banale, autant pour lui que pour elle.. Et surement encore plus pour elle, au vu de l'expression qu'elle affichait.

"Tu n'as pas changé.."

C'est tout ce qu'il su dire. Idiot? Peut-être.. Mais qu'aurait-il pu dire d'autre? Lui raconter tout.. Lui raconter comment il en était arrivé là? Non. Il fallait qu'elle sache, certes, mais il voulait avant tout savoir comment elle se portait. Profiter de sa présence.. Lui montrer à quel point elle était importante pour lui. A quel point elle avait toujours compté pour lui.

Autrefois, il avait essayé de le lui montrer. Il lui avait avoué ses sentiments. Mais le destin s'était mêlé de cette histoire.

"Je t'en prie, n'aie pas peur. Ne t'en vas pas.. Il y a si longtemps que je souhaite te parler."

Doucement, il s'avança vers elle. Quelques pas suffirent pour que la distance qu'il avait conservé entre eux deux ne devienne presque inexistante. Il voulu l'étreindre, la rassurer, mais lorsque sa patte effleura la sienne, elle passa à travers et il se souvint. Plus jamais il ne pourrait la toucher.

Il recula, un sourire gêné apparut sur son visage, idiot qu'il était. L'espace de quelques secondes, il ressentit une immense peine. Il était là mais son corps, lui, n'était que poussière dans le vent.

"Je suis désolé."

souffla-t-il de sa voix qui elle restait inchangée.

"Tu m'as.. manqué."

Il se tut, ne faisant plus que de la regarder. Ce visage.. Ce si beau visage. Peut-être devait-elle se croire folle.. Mais elle ne l'était pas. Et quand bien même elle l'aurait été, elle resterait aux yeux du lion la plus merveilleuse des personnes qui soit et qui aie jamais été.

Resterait-elle? Partirait-elle? Dans un cas comme dans l'autre il ne l'en blâmerait pas. Non.. Il était bien trop heureux de la voir à nouveau..

Elle parut surprise des dires du mâle. Bien sure.. Vukia n'était pas du genre à fuir devant le danger, alors pourquoi fuirait-elle devant lui? Elle était une battante, une guerrière..

"Moi partir ? pourquoi ? Tu n'es qu'un rêve. Une simple pulsion de mon esprit...Il semble qu'inconsciemment, mon coeur ai eut envie de se chauffer un peu à ton souvenir."

répondit-elle avec conviction sans hausser le ton de sa voix. Une simple pulsion de son esprit.. Alors c'était ainsi qu'elle voyait Hofu? Si cette perspective déçu quelques peu le lion, il ne pouvait en vouloir à la féline. Qui aurait pensé qu'un mort puisse réellement communiquer avec les vivants? Auparavant, lorsqu'il était encore fait de chaire et d'os, il en doutait fortement, lui aussi.

Peut-être cette idée de rêve était-elle plus rassurante. Peut-être valait-il mieux qu'aux yeux de la guerrière il en reste ainsi.

Il s'approcha, mais sa patte passa au travers de celle de la lionne. Il recula, désolé. De son côté, Vukia ne fit rien, si ce n'est le regarder à nouveau, posant sur lui son magnifique regard émeraude. Le sombre lui fit savoir le fond de sa pensée. A quel point elle lui avait manqué. Sa présence seule suffisait à ce qu'un sentiment de bien être parcoure son corps fantomatique tout entier. Il y avait si longtemps qu'il espérait pouvoir se retrouver à ses côtés à nouveau.. Mais pas sous cette forme.

" Toi aussi, pourtant je n'ai de cesse de t'attendre, encore et toujours, que tu reviennes dans la jungle. J'ai appris à attendre patiemment."

soupira-t-elle. Le mâle ferma les yeux. Vukia l'attendait depuis tout ce temps.. Depuis tout ce temps, elle espérait encore qu'il la rejoigne. Il aurait tant voulu que cela soit possible. Sans doute est-ce ce souhait qui l'avait mené à elle, le sortant de son sommeil éternel l'espace d'une nuit. Vukia l'attendait, encore et toujours.. Mais jamais il ne pourrait accéder à ses voeux, quand bien même il le souhaitait de tout son être.

"Je serais venu bien plus tôt si je l'avais pu. Je t'aurais rejoint dés que cela m'aurait été possible."

déclara-t-il en posant ses yeux azurs sur la lionne. Son ton était calme, pourtant les souvenirs grondaient en lui comme une cascade. Comment pouvait-il lui dire... Lui dire qu'il ne reviendrait jamais? Que cette forme était à présent la sienne et que rien ne pourrait changer ça?

"Ce que tu crois être un rêve n'en est pas un, Vukia.. Effleurer ton esprit de la sorte, t'apparaître sous cette forme.. C'est le seul moyen que j'aie trouvé pour te parler."

continua-t-il, espérant qu'elle ne le rejetterait pas à la suite de ce qu'il était sur le point de lui dire. Pendant tout ce temps, elle l'avait attendu.. Et il s'apprêtait à lui dire que cette longue attente était vaine. Il voulait lui épargner cette peine, mais il savait qu'elle pourrait encaisser.. Elle avait toujours été plus forte que n'importe quelle autre lionne. Sans doute était-ce ce qui la rendait si exceptionnelle à ses yeux..

"Autrefois, je t'ai fait une promesse. Celle de te retrouver ici-même. J'ai également promis à Niwata de prendre soin de son fils jusqu'à ce qu'il soit en âge de se défendre de lui-même.."

Des promesses qu'il n'avait pu tenir. Il avait protégé Sayidi du mieux qu'il l'avait pu, mais avait fini par l'abandonner contre son gré.. Quant à Vukia, cette visite était en quelque sorte l'aboutissement de sa promesse, ou du moins ce qu'il pouvait faire s'en rapprochant le plus à présent que les choses avaient changé.

"Je n'ai pas eu le temps de les tenir, et je pense que c'est là mon plus grand regret." il marqua une pause, inspirant profondément - un simple réflexe qu'il avait gardé de son ancienne vie.. "Son père nous est tombé dessus sans crier gare. Il voulait le tuer. Tout s'est passé si vite ensuite. Je lui ai crié de fuir, nous nous sommes battus. Des rugissements, des coups de griffes, des coups de crocs.. Et puis le noir total."

L'obscurité. Le néant..

"Lorsque je me suis réveillé, je n'ai pas compris ce qu'il se passait. Il m'a fallut un long moment avant de comprendre, et d'accepter la réalité."

Il était en colère, ou du moins se souvenait-il de l'avoir été. Il avait fini par accepter, mais cette discussion.. Revoir Vukia. Cela réveillait en lui des émotions qu'il n'avait pas senti depuis fort longtemps.

"Je suis mort ce jour-là."

Le lion s'assit, mais ses pattes ne touchèrent le sol. Il demeurait toujours à quelques centimètres au dessus de l'herbe.

"J'ai longtemps lutté. Je refusais d'abandonner ainsi. De vous abandonner. Mon seul désir était de vous retrouver.. Mais mon temps en ce monde était terminé."

Il détourna le regard, posant ses iris bleutées sur le paysage.

"J'aurais aimé pouvoir te parler plus tôt, mais ce n'était pas possible.. Jusqu'à cette nuit. Jusqu'à cette merveilleuse nuit." il la regarda à nouveau.
"J'avais presque oublié à quel point ces terres sont belles. A quel point t'avoir à mes côtés était merveilleux." il sourit. "Dés lors que je t'ai rencontré, j'ai su que tu occuperais une place importante dans ma vie. Et si je n'étais pas à tes côtés, sache que tu n'as jamais quitté mes pensées."

Autrefois, il avait peur de lui avouer. Il l'avait fait, mais conservait toujours une certaine retenue. Aujourd'hui, cette gêne n'avait plus lieu d'être. Il savait qu'il était peu probable qu'on lui offre une autre occasion de tout lui dire, de tenir ses promesses. A présent, elle savait. Elle connaissait toute la vérité.

En lui annonçant sa mort, il ne voulait lui faire de peine. Il voulait qu'elle sache qu'à chaque instant, il n'avait jamais cessé de penser à elle. Qu'elle ne pense pas qu'il l'aie tout simplement oubliée. Qu'elle cesse de l'attendre.. Car à présent, c'était à lui d'attendre sa venue dans ce nouveau monde qu'était le sien. Oh, il ne voulait pas que sa venue soit précipitée. Il voulait qu'elle continue à vivre, qu'elle soit heureuse.

Une fois que l'esprit eut terminé de parler, la lionne se détourna de lui, silencieuse. Il n'en fit rien.. Il n'osait pas, et savait que cela n'était pas une bonne idée. Sous cette forme, il ressentait les choses différemment.. Ainsi, quand bien même Vukia s'était-elle tournée pour qu'il ne voit pas ses larmes essayant vainement de se frayer un chemin par delà la barrière de ses yeux, il le sentit. Elle ne le lui montrait pas.. Pas encore. Mais Hofu savait que sa révélation serait douloureuse.. Peut-être plus qu'elle ne le montrerait jamais.

Et sans doute plus que ce qu'il n'aurait souhaité.. Car la blesser n'était pas dans ses intentions. Il savait.. Il savait qu'elle se relèverait. Elle était comme ça, cette femelle qui avait su attirer son attention plus que les autres.. Elle était forte. Battante. Unique.

"Je...J'avais trop espéré..."

Seuls ces mots sortirent de la gueule de la lionne lorsqu'enfin elle lui fit de nouveau face. L'expression qu'elle affichait n'était plus celle d'avant. Oh, il aurait tant voulu lui dire que tout ceci n'était qu'une blague.. Une horrible blague. Mais il ne le pouvait guère.

"J'aurais dû...rester avec toi... je t'aurais protégé..."

Sa voix était étranglée. Elle baissa les yeux.

"Tu m'as sauvé la vie à plusieurs reprises. Je n'ai même pas pu sauver la tienne en retour."

.. Alors c'était ça. Un doux sourire s'afficha sur le visage du lion.

"Tu as fait pour moi bien plus que tu ne pourras jamais l'imaginer, Vukia.."

déclara-t-il calmement, regardant sa douce droit dans les yeux.

"Qui sait ce qu'il serait advenu, si tu étais intervenue.. Tu es forte.. Si forte et courageuse. Mais je n'aurais pour rien au monde souhaité que tu mettes ta vie en danger pour sauver la mienne."

Risquer de la perdre aurait été bien trop douloureux.. Quand bien même le résultat n'était pas beaucoup mieux. Il jeta un regard circulaire sur les alentours. Sur cette jungle.. Et tous ceux qui y résidaient.

"Et puis, il y a ton clan.. Qu'auraient-ils fait sans toi?"

L'enlever à eux, même s'il aurait souhaité de tout son coeur qu'elle le suive, aurait été un acte bien égoïste de sa part.

"Ne te blame pas, je t'en prie. Tu ne me dois rien.. Rien de plus que ce que tu m'as déjà donné.. Te rencontrer, t'avoir à mes côtés tout ce temps.. Tu m'as offert bien plus que je ne l'aurais espéré."

Ce sentiment étrange, lorsque la lionne occupait ses pensées. Ce sentiment de bonheur, d'invincibilité lorsqu'elle se trouvait à ses côtés. Peu importe les difficultés qu'ils avaient pu rencontrer. Peu importe tout cela.. En sa compagnie, Hofu s'était autrefois senti plus vivant que jamais. Et maintenant encore, si cette forme n'était présente pour le contredire.. Il aurait juré appartenir de nouveau à ce monde.

"Le destin ne nous a pas été très favorable.. Et je n'ai jamais eu l'occasion de te montrer l'étendue de mes sentiments.."

Il marqua une pause. Le dirait-il pour de vrai..?

"Peut-être me prendras-tu pour un fou.. Mais je ne peux partir sans te le dire. Je t'aime, Vukia. Et ce depuis le premier instant."

Il sourit, bêtement. Aussi bêtement que lorsqu'il l'eut regardée plus tôt, lorsque ses yeux s'ouvrirent pour la première fois depuis bien longtemps.

"Tout ce que je souhaite à présent est ton bonheur. De longues années t'attendent encore. De longues années qui je l'espère te seront favorables. Je sais que tu sauras te relever. Tu es une battante.", il marqua une légère pause. Il avait tant de choses à lui dire, et si peu de temps.. Il ne pouvait se permettre de perdre un seul instant. "Profite de cette vie, et n'aie crainte.. Je serais toujours à tes côtés. Et à mon tour, sache que je t'attendrais.. Je t'attendrais toujours."