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Uzazi marchait dans les hautes herbes, fatiguée après les plusieurs heures qu'elle avait passées à tenter désespérément de trouver quelque chose à manger. Cela faisait déjà plusieurs jours que Misaada, le majordome de Farao, n'était pas revenu leur apporter de la nourriture, et cela se faisait cruellement sentir.
En effet, si elle avait été seule, elle n'aurait pas eu trop de mal à se nourrir convenablement, même si elle n'aurait sans doute pas mangé tous les jours à sa faim, mais elle devait en plus s'occuper d'un lionceau, et dieu sait si un jeune animal en pleine croissance avait besoin de nourriture!

La lionne leva la tête en ralentissant, et observa un instant le soleil qui descendait lentement vers l'horizon, tandis que la ciel se teintait de rose et d'or, d'orange et de rouge... Elle resta ainsi un instant, perdue dans des pensées mélancoliques. Elle repensait à son passé, qui avait été si heureux, et se demandait un instant comment tout avait pu déraper pour qu'elle en arrive là, bannie de chez-elle et détestée de son - ancienne - reine.
Mais au moins avait-elle eu de la chance, elle aurait bien pu se retrouver réellement exilée loin de la Terre des Lions. C'était ce qui aurait dû arriver, d'ailleurs.

Elle fut tiré de ces tristes songeries par le bruit porté par le vent d'autres lions discutant et riant, ce qui la remit aussitôt sur ses gardes. Elle identifia un petit groupe loin d'elle, vers l'horizon. Il ne se dirigeait aucunement dans sa direction, mais on n'était jamais trop prudent. Elle s'éloigna vivement, souhaitant se retrouver aussi vite que possible dans son baobab, à l'abri - plus ou moins. Elle n'aimait guère devoir descendre de cet arbre massif, car même en sachant d'expérience que très peu de lions s'aventuraient par là, tout à la frontière de la Terre des Lions, elle craignait toujours que quelqu'un s'aperçoive que la lionne bannie par son clan et son bâtard de fils n'avaient pas du tout quitté la Terre des Lions comme ils l'auraient dû.

Uzazi bougea ses pattes qui lui semblaient si lourdes, et, secouant sa fourrure poussiéreuse, accéléra l'allure jusqu'au baobab, où elle grimpa doucement. Elle marqua un temps d'arrêt en voyant son fils se précipiter vers elle, manifestement très content de la voir. Elle aurait espéré qu'il dormirait encore; elle détestait le laisser seul...

-Bonjour Maman!

Maman. Ce simple mot, qu'il prononçait pourtant de nombreuses fois par jour, lui réchauffait chaque fois le coeur. Elle serra son petit contre elle, savourant le bonheur simple d'être avec quelqu'un qui l'aimait et qu'elle aimait. Puis Azari rompit leur étreinte et lui demanda s'il y avait à manger, ce à quoi sa mère répondit d'un regard désolé, qui se passait d'explications. Si elle avait trouvé quoi que ce soit, ç'aurait été un plaisir pour elle de nourrir le lionceau, de pouvoir se dire qu'elle faisait convenablement son devoir de mère... Mais elle n'avait rien, pas la moindre charogne, rien qui aurait pu contenter son fils.
Elle, jeûner ne la gênait pas; alors qu'elle aurait dû mourir de faim après le temps qu'elle avait passé à chercher une proie tout en guettant les animaux qui se seraient demandé ce qu'elle faisait ici, méditer sur son ancienne vie lui avait, semblait-il, coupé l'appétit.
Azari, en comprenant qu'elle n'avait rien à lui donner, lui assura qu'il n'avait pas faim, ce qui ne convainquit pas vraiment sa mère.

-J'espère que Misaada reviendra bientôt, murmura-t-elle, l'air soucieux. S'il ne passait pas dans les prochains jours, elle et son lionceau ne tiendraient guère longtemps...

Uzazi sentait bien que son fils avait besoin de manger: déjà il s'affaiblissait, jour après jour, même si cela se voyait peu pour le moment... La lionne était habituée à détecter quand Azari avait faim, se sentait mal ou était triste. C'était ce que ressentait toute mère pour son enfant, sans doute.
Cependant, le lionceau aurait pu avoir des jours et des jours de famine derrière lui, il n'aurait pas manqué de vigueur pour son moment préféré de la journée - ou plutôt de leur journée, pas une journée comme celle de n'importe quel autre animal de la savane -, celui qu'il semblait toujours savourer avec autant de plaisir.
Une fois le crépuscule installé, quand tout la paysage était recouvert des ombres de la nuit, et que la plupart des animaux - au moins les lions du Rocher de la Fierté - dormait, ils pouvaient descendre du baobab. Uzazi autorisa son fils à aller au sol, l'escortant prudemment - pas question qu'il tombe et se fasse mal! - bien qu'il ait réclamé de ne pas se faire aider, cette fois-ci, ce que sa mère lui avait accordé. Il se débrouilla très bien, tandis qu'Uzazi le regardait avec fierté: son fils grandissait si vite! Il était déjà débrouillard...
Il restait toutefois un lionceau, qui se mit à courir en criant de joie près des hautes herbes, si heureux de découvrir un monde qui devait le fasciner, lui qui était constamment forcé de rester dans le baobab durant la journée.

La lionne, voyant qu'Azari découvrait avec curiosité et bonheur les lucioles, en profita pour se coucher et se détendre un peu, savourant la chaleur qui quittait peu à peu la terre sèche pour laisser place à la froidure de la nuit. Heureusement pour elle, elle ne craignait pas trop le froid, malgré sa fourrure pas plus fournie que la moyenne. Sans doute, à force de ne vivre que la nuit s'était-elle habituée, comme son fils manifestement, à supporter le froid des nuits africaines.
Elle couvait son lionceau d'un doux regard protecteur, prête à se lever si jamais le besoin se faisait sentir, bien que se détendant. Comme souvent tandis qu'elle observait le lionceau, ses pensées dérivèrent vers le monarque de la Terre des Lions, Farao, le père d'Azari. Connaissait-il la même joie qu'elle, lui aussi? Elle croyait se souvenir d'un jour où Misaada avait lâché une allusion à propos d'enfants du couple royal...
Uzazi tenta tant bien que mal de refouler ces pensées importunes. Ne pas penser à Farao et à Malkia. Ne pas penser à sa vie d'avant, à la vie qu'elle aurait pu avoir si seulement...

Heureusement ou pas, Azari interrompit le cours de ses rêveries en lui posant une question. Mais peut-être aurait-il mieux valu qu'il ne la pose pas, cette fameuse question, car sa mère ne savait pas quoi lui répondre... Son fils s'allongea près d'elle en lui disant qu'il avait aperçu des lions dans la plaine, alors que le soleil n'était pas encore couché, et souhaitait savoir ce que cela signifiait!
Uzazi ne se sentait pas la force et le courage de mentir à son fils, de prétendre qu'elle n'avait pas d'explication à cette "bizarrerie", ni de dire qu'il y avait des originaux partout. Mais elle ne voulait pas expliquer à Azari qu'ils avaient été forcés, pour leur propre bien, de ne se montrer que de nuit pour éviter d'être repéré par des lions du Rocher, ayant été bannis... Elle ne voulait pas avoir à dire à son fils qu'elle vivait autrefois là-bas elle aussi, et que le jeune mâle y était d'ailleurs né... Et surtout, elle ne voulait pas avoir à expliquer le motif de leur bannissement, pas maintenant. Azari était encore trop jeune, trop jeune pour comprendre, trop jeune pour savoir. Elle n'avait aucune envie qu'il découvre qu'il était le bâtard du roi de la Terre des Lions, même pas désiré, elle redoutait le choc que la découverte occasionnerait à son enfant. Un jour, elle lui révélerait - elle savait qu'il lui faudrait tout avouer, un jour ou l'autre, que la vérité éclaterait, mais autant que cela arrive le plus tard possible!

Aussi la lionne gris foncé pris le temps de s'étirer, de se redresser pour se retrouver en position assise, puis de respirer un grand coup avant d'ouvrir la gueule, réfléchissant à la réponse qu'elle allait fournir au lionceau.

-Tu vois, Azari, commença-t-elle lentement, choisissant ses mots avec autant de soin que possible, la plupart des lions - et des animaux, en fait - vivent le jour et dorment la nuit. Nous avons simplement un mode de vie différent, c'est tout.

Uzazi détourna le regard, observant l'horizon - ou ce qu'elle pouvait en voir. Elle doutait que son fils se satisfasse de cette explication simpliste, et redoutant la question qui ne manquerait pas d'arriver, venant d'un lionceau plein de curiosité: pourquoi donc avaient-ils un mode de vie différents des autres? Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait bien répondre alors.