Lenora n’avait plus rien à craindre des conséquences suite à l’inhalation de la fumée lors de l’incendie de Prideland. J’étais arrivé sur Freeland peu après les exilés waasiens et si j’avais été soulagé de les voir sains et saufs, l’horreur s’était emparée de moi lorsque je n’avais pas vu ma compagne et mes filles avec eux.

On m’avait alors dit qu’il semblerait que Lenora avait voulue me suivre et qu’elle s’était donc subtilisée à la surveillance du groupe et s’était perdue. Khalaki avait pris la décision de partir à sa recherche tout en emmenant Sikhà avec elle et Waasi les avaient accompagnées.

J’avais vécu les pires minutes – ou peut être heures, j’avais complètement perdu la notion du temps – de ma vie, à me demander si je les reverrais un jour. Et l’Esprit du Feu soit loué, elles avaient finalement fait leur apparition, m’arrachant des larmes de joie. J’avais filé les rejoindre et j’avais été le plus heureux des lions lorsque j’avais pu les serrer contre moi. La nouvelle de la mort de Waasi m’avait secoué et je m’en étais senti coupable mais je m’étais vite rendu compte que seules les hyènes étaient à blâmer.

Enfin, quoi qu’il en soit, je n’avais pas quitté ma famille pendant plusieurs heures et ce n’est que lorsque mes filles s’étaient endormies que j’avais laissé ma compagne afin de trouver le Roi Kama. Notre discussion avait été plaisante et il m’avait accordé le droit de fonder mon propre clan. J’étais alors retourné auprès des trois femelles de ma vie et depuis ce jour, je veillais sur elles encore plus que je ne le faisais d’ordinaire.

Cela agaçait mes filles car elles ne pouvaient pas s’amuser comme elles le souhaitaient – d’après Lenora – et que je les couvaient trop. Ayant été assez libre de mes mouvements lors de ma jeunesse, je pouvais aisément comprendre leur point de vue mais je ne pouvais m’empêcher de les surveiller afin de m’assurer qu’elles allaient bien.

J’en discutais justement avec Khalaki qui essayait de me faire comprendre qu’il fallait laisser plus de libertés à Lenora. Sikhà pouvait s’éloigner plus que sa jumelle et ma compagne me faisait remarquer qu’il n’y avait aucun risque pour Lenora d’aller plus loin et qu’elle ne pourrait qu’apprécier de ne pas être constamment sous notre surveillance. Je soupirais en me rendant compte qu’elle avait évidemment raison et que j’en avais peut être fait un peu trop à cause de ses poumons mais comme elle allait mieux, je pouvais lâcher du leste.

Une silhouette rouge en mouvement à la périphérie de ma vision attira mon attention et je souris en comprenant que Lenora essayait de nous échapper. Cette petite était décidément espiègle mais je préférais qu’elle agisse comme sa sœur et nous prévienne lorsqu’elle partait. Et cela passait par une discussion avec ma fille aînée.

Je la suivais donc ma fille et essayait de deviner ce qu’elle pouvait bien chercher ainsi. Ou plutôt qui. Et la réponse me vint instantanément. Sikhà. Je souriais devant l’évidence et devant le lien qui unissait mes filles. Cela faisait plaisir de les voir si proches et j’étais content de pouvoir les faire profiter de la présence d’un père, contrairement à moi ou à mes parents. Cela nous avaient privés de moment comme celui qui allait venir.

Je profitais du brouillard pour m’approcher de ma fille en faisant le moins de bruit possible et lorsque je le pu, je l’attrapais par la peau du coup et la soulevait du sol. Elle n’allait sans doute pas apprécier le geste et je souriais d’avance tandis que je la reposais doucement au niveau de mes pattes.

Où comptes-tu aller comme ça, jeune fille ?

Elle pouvait clairement entendre dans ma voix que je ne la grondais pas car mon ton était beaucoup trop enjoué pour ça. Et si elle se retournait et qu’elle me regardait, elle ne pourrait louper la lueur malicieuse dans mon regard.

A peine avais-je attrapé et soulevé ma fille aînée que celle-ci se mit à se débattre dans tous les sens, me donnant ainsi du mal pour ne pas la lâcher.

Mais lâchez moi ! Sinon je vous arrache le nez !

Ouuuh, quelle petite guerrière ! Je ne voulais pas être la victime de cet arrachage de nez alors je reposais doucement Lenora sur le sol. En tout cas, je ne pouvais nier ma fierté de voir qu’elle réagissait de la meilleure des façons devant ce qu’elle avait sans doute pris pour un enlèvement. Amusé devant sa réaction, c’est avec un sourire que je lui demandais où elle compter se rendre.

Ma fille plaqua ses oreilles sur son crâne et vu sa moue boudeuse, il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu’elle n’était pas ravie d’avoir été ainsi rattrapée de la sorte. Elle ne savait cependant pas que je comptais lui laisser plus de libertés et qu’il s’agissait sans doute de l’une des dernières fois où je la rattrapais ainsi. Et cela m’amusait beaucoup.

Papaaaaa ! Pourquoi tu m’as suivie ?? Il m’arrivera rien tu sais ? Pourquoi je peux pas aller jouer avec Sikhà… Je suis plus malade tu sais ?

Oui je le savais très bien – en dépit de la petite quinte de toux qui la pris à ce moment précis – ses jours n’étaient plus en danger et j’en remerciais chaque jour l’Esprit du Feu pour avoir épargné ma fille.

Pourquoi on habite pas ailleurs ? C’est moche ici ! Y’a du brouillard tout le temps, c’est vraiment pas drôle, et mon pelage est toujours humide...

Je soupirais à mon tour. Je ne pouvais que lui donner raison sur ce point. Je n’avais pas de poils qui rebiquaient comme ma compagne et nos filles mais pour ce qui était de ma crinière… Il y avait certains jours où l’humidité la rendait beaucoup plus lourde que d’ordinaire et j’avais beaucoup de mal à le supporter.

Nous nous sommes installés ici car les montagnes sont idéales pour un lion du Vent et je souhaitais que chacun aime notre lieu de vie. J’ai pensé que c’était l’endroit parfait pour nous. Si je m’étais assis pour répondre à ma fille, je m’allongeais désormais pour être à sa hauteur avant de continuer. Mais peut-être que nous pourrions descendre un peu des Montagnes Humides et nous installer un peu plus dans les terres. On resterait tout de même dans le coin pour que chaque Chafaya soit content. Comme il n’y a pas d’autre clan aux alentours, je ne pense pas que cela dérangera qui que ce soit. Ça te plairait ?

Il faudrait que j’en parle aux autres et que nous prenions cette décision ensemble. Après tout, j’avais beau avoir été désigné comme chef par Kama, je ne prenais aucune décision seul et tout été réfléchi par l’ensemble des membres du clan qui était en âge de le faire.

Et si je t’ai suivi, petite chipie, c’est parce que ton papa ne peut se passer de toi. Sur ces paroles, j’amenais ma fille vers moi pour lui voler un câlin. Je ne la retenais pas de force et elle pourrait facilement se dégager si elle le souhaitait.

Ma proposition de nous éloigner un peu des montagnes pour nous installer plus dans les terres sembla faire réfléchir ma fille un instant. Je laissais son esprit donner libre court à ses pensées sans l’interrompre et finalement, elle me répondit.

Oui, j’aimerais bien qu’on change d’endroit. J’en ai marre du brouillard. Pourquoi on irait pas vivre dans un endroit plus joli ? Machli, Waban et leur famille peuvent rester ici si ils s’y plaisent.

Et nous séparer ? Non, ce n’était pas envisageable. Nous étions bien tous ensemble et nous avions trouvé un équilibre. Chacun avait sa place et je ne me voyais pas me séparer d’un seul membre des Chafayas. Si Lenora n’aimait pas cet endroit, peut être que d’autres aussi étaient dans la même cas ? Je notais donc de faire le tour du clan pour avoir leurs impressions. S’ils étaient plus nombreux que ce que je pensais, peut-être pourrions nous faire une concession et effectivement nous éloigner un peu de l’humidité des montagnes pour nous installer plus loin, dans les terres du Pays Verdoyant. J’en toucherai deux mot aux autres lorsque je les verrais.

En attendant, je ramenais ma fille vers moi pour un câlin forcé tout en lui disant que je ne pouvais me passer d’elle. Lenora ronchonna, me suppliant de la lâcher et essayant de se défaire de mon emprise. Bien que je ne la tenais pas fort et qu’elle pouvait facilement partir, elle n’en fit rien et je l’entendis même ronronner. Cela m’arracha un sourire pendant qu’elle s’amusait désormais à mordiller mes oreilles. Je la laissais faire, amusé mais surtout heureux de pouvoir passer un tel moment avec l’une de mes filles chéries.

Dis, c’est pas trop dur d’être le chef du clan ? Moi, j’aimerais pas trop, il faut s’occuper de tout le monde. C’est quand que je vais pouvoir retourner m’amuser ? Je m’ennuie, et puis je passe pas beaucoup de temps avec Sikhà, elle me manque...

C’était attendrissant de voir à quel point elles s’aimaient toutes les deux et je me réjouissait de voir une telle relation entre mes enfants plutôt que ce que j’avais pu vivre avec Janan…

Tu sais, le Roi m’a donné ce titre mais nous veillons tous les uns sur les autres et chaque décision que nous devons prendre est discutée avec tout le monde. Je peux compter sur les autres pour m’aider alors non, ce n’est pas trop compliqué.

Quant à savoir quand est-ce qu’elle pourrait retourner s’amuser avec sa sœur, j’aurais aimé pouvoir la regarder dans les yeux pour lui annoncer ça mais comme elle s’occupait toujours de mes oreilles, c’était un peu compliqué.

Oh, ça ? C’est vrai que j’ai oublié de te le dire… Je m’arrêtais là, laissant volontairement durer le suspens. Puis, après quelques secondes qui durent sembler insoutenable à Lenora, je repris. Tu n’es plus malade alors ta mère et moi, on te donne notre autorisation. Tu vas pouvoir aller t’amuser quand tu en auras envie.

Je ne doutais pas que cette nouvelle ne fasse non pas une mais deux heureuses. Sikhà m’avait dit à quel point ce n’était pas pareil et beaucoup moins drôle d’aller vadrouiller sans sa jumelle alors, avec cette décision, je plaignais quiconque aurait affaire aux Jumelles du Feu.

Mon air amusé ne fut que renforcé face à la réaction de joie de ma fille aînée. Elle était surexcitée et je plaignais d'avance tout ceux qui devraient faire face à son enthousiasme débordant, à commencer par mon autre fille.

Merci papa ! Merci merci merci !! Sikhà elle va être trop contente ! Je suis sûre qu'elle s'ennuis trop sans moi. En plus, y'avait personne pour la protéger si elle avait des problèmes, maintenant, je serais là pour la protéger !

Je riais de bon cœur face à sa dernière phrase. Sikhà n'avait jamais eu aussi peu de "problèmes" que depuis que Lenora ne partait pas à l'aventure avec elle. L'aînée des jumelles étaient bien celles des deux qui attirait voire provoquait les problèmes et j'étais persuadé que Khalaki et moi n'étions au courant que d'une infime partie de ce que les Jumelles du Feu devaient affronter, Sikhà les résolvant avant que cela n'empire.

Je ne disais cependant rien de tout cela, me contentant plutôt d'aller dans le sens de ma fille adorée, un sourire amusé toujours présent sur mon visage.

De rien, mon ange. Et tu sais quoi ? Je crois que tu as raison : Sikhà me disait pas plus tard qu'hier à quel point c'était différent sans toi et que des fois, elle s'était retenue de ne pas aller trop loin pour ne pas te faire de peine si elle trouvait quelque chose d'incroyable sans que tu ne sois avec elle. Je suis certain qu'elle n'attend que toi pour vivre de nouvelles aventures.

J'avais terminé ma phrase par un clin d'œil, encourageant ainsi mes filles à explorer, même si je devais avouer que cela était difficile pour moi de ne pas les avoir dans mon champ de vision et de savoir qu'elles étaient peut être en danger. Enfin, tant qu'elles restaient sur notre territoire, elles ne risquaient rien. Et puis, il y aurait bientôt d'autres personnes sur qui je devrais veiller.

Dis papa, tu trouve pas que maman elle est bizarre en ce moment ? Elle semble toujours fatiguée, et puis son ventre il a grossi ! Elle est pas malade hein ?

Lenora venait de me couper dans mes réflexions et étrangement, je me demandais si elle ne m'avait pas entendu penser. C'était absurde, je le savais, mais la coïncidence était étonnante. Enfin, Lenora n'était pas aveugle et il fallait avouer que le ventre de Khalaki s'arrondissait de plus en plus au fil des jours, annonçant à tous l'heureuse nouvelle qui nous attendait.

A tous excepté ceux pour qui cela n'était pas une évidence et les plus jeunes, dont mes filles, en faisaient partie. J'aurais voulu que cela se passe différemment et que ma compagne et moi l'annoncions à nos filles en même temps mais puisque l'occasion se présentait, je n'allais pas la laisser filer. D'autant que ma fille aînée s'inquiétait pour sa mère alors je me devais de la rassurer en lui partageant la nouvelle.

Rassure-toi Lenora : ta mère n'est pas malade, bien au contraire. Mon sourire jusque-là amusé était devenu un sourire de quelqu'un de fier de devenir père à nouveau : un sourire radieux d'une personne heureuse. Si ta maman est tout le temps fatiguée et que son ventre a grossi, c'est parce que dedans, il y a un ou plusieurs frère et sœur qui y dorment et qui viendront bientôt agrandir la famille.

Bien que cette dernière était déjà très grande, j'étais plus qu'heureux de savoir que je serais bientôt de nouveau père. Et je n'était pas le seul qui aurait cette joie car quelques jours plus tôt, Kira était venue me voir pour m'annoncer qu'elle aussi attendait un heureux évènement. Le clan des Chafayas accueillerait d'ici quelques mois de nouvelles boules de poils et cela était vraiment une excellente nouvelle.